
Éditions Imago, 2024 Paris. 20€ https://editions-imago.fr
Présentation par Josette-Alice Bos
La gravure de Gustave Doré fait toujours son effet : ce visage d’homme à gauche, épais, les yeux exorbités, dont le regard traverse l’image de part en part; cette figure de femme à droite, profil de camée, tête baissée, qui subit ce regard impérieux. Au milieu, une grande main sombre à l’index levé, comme une épée. Et en bas les deux petites mains claires de la femme, rassemblées comme une conque, suppliantes… Une énorme barbe bleue occupe la diagonale de la gravure. C’est cette illustration qui a été choisie par son éditeur pour le livre d’Édith Lombardi Se libérer de Barbe-Bleue, Femmes sous emprise. Et elle traduit bien le conflit qui est en jeu, ces femmes jeunes, d’hier et d’aujourd’hui, qui subissent violences psychiques et physiques et se trouvent piégées malgré elles dans une relation toxique.
Édith Lombardi est l’autrice de romans. Mais elle est surtout psychologue clinicienne et conteuse. Elle utilise les contes depuis longtemps dans son travail 1 pour aider femmes et enfants à «grandir humain». Cette fois, c’est sur Barbe-Bleue qu’elle a porté son attention. Avec une langue claire, précise et poétique, elle fait un vaste tour d’horizon des contes développant ce même thème. Elle en cite et analyse une trentaine, de La Barbe bleue de Charles Perrault bien sûr, au Château maudit, conte populaire recueilli en Auvergne, ou Le cordonnier et ses trois filles, conte basque, et la légende bretonne du Roi Comorre, en passant par Nez d’Argent, conte italien, La veuve et ses filles, conte écossais, Les deux loups, conte philosophique amérindien, Kolrassa-chevauche-tisonnier, conte islandais et, surtout, L’Oiseau d’Ourdi, conte de la transmission orale allemande collecté et écrit par les frères Grimm. Cette érudition n’est pas un poids, elle éclaire au contraire la permanence et l’ampleur du sujet Barbe-Bleue, le séducteur, le prédateur pervers, le maître sorcier qui maintient sous son emprise les filles qu’il a séduites ou capturées.
L’intérêt de l’ouvrage d’Édith Lombardi réside aussi dans le fait qu’elle met en relation cette thématique avec des situations cliniques précises. Le conte se fait réalité. La réalité s’éclaire grâce au conte. Comme le dit E. Lombardi 2 «…l’histoire [de ces femmes] va nous permettre d’entendre comment notre psyché peut se nourrir des images et des scénarios d’un conte qui nous «parle» et comment nous pouvons à mesure être en possibilité d’émerger de nos confusions…» C’est l’histoire d’Annie qui a découvert son mari en Barbe bleue, ou de Myriam dont le père a été tué devant ses yeux par leurs tortionnaires et à qui le conte réunionais de Gala a permis de «faire maison», maison humaine.
C’est l’histoire de filles désobéissantes qui deviennent avisées, ne se soumettent pas : elles apprennent que «...face à un être malfaisant (…) il est vital d’utiliser le mensonge et la ruse pour se libérer…» Dans L’Oiseau d’Ourdi, nous comprenons que «...la bascule va du pouvoir du sorcier à celui de la fille dans un mouvement où il la capture par ruse et où elle s’échappe en le trompant…»
Après l’emprise, la dé-prise : tout l’opus converge vers les filles «avisées», celles qui ont cherché à comprendre et se sont libérées, solidaires de leurs soeurs, celles qui ont résisté à avec courage la toute-puissance. Un livre qui entre en résonnance avec notre temps, celui de #me-too et de la notion moderne des féminicides. Le temps de la prise de conscience de l’importance du consentement.
Josette-Alice Bos
1Éditions Imago, octobre 2024 Paris. 20 € https://www.editions-imago.fr/ouvrage-638-Se-lib%C3%A9rer-de-Barbe-Bleue
2 Voir entre autres Contes et éveil psychique, Paris, Éditions L’Harmattan, octobre 2008, 220 p.
3 in Des contes en partage, que sont les contes, à qui les dire, comment les dire ? p. 120,Paris, Éditions L’Harmattan, mars 2013, 274 p.
« Se libérer de Barbe-Bleue» : sœur Anne, n’est-il pas temps d’en fînir ?
En se basant sur les contes pour éclairer l’âme humaine, la psychologue Edith Lombardi espère libérer les femmes de l’emprise d’hommes aussi malfaisants que les monstres qui peuplent l’imaginaire collectif.
Par ROBERT MAGGIORI, Libération, 05/12/24
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